10 mars 1944
Autre copie : 10 mars 1944 (2).
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. — 1739 W 41. — P. 1, 2, 3, 4. — WM 322. — P. 1, 2, 3, 4, 5.
MINISTÈRE de L’INTÉRIEUR
POLICE NATIONALE
Service Régional de Police de Sûreté
NANCY
NANCY 11 Mars [194]4.
LE COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE, Chef du Service Régional de Police de Sûreté à Monsieur l’INTENDANT REGIONAL DE POLICE NANCY.—
J’ai l’honneur de vous transmettre sous ce pli, le rapport de M. le Commissaire de Police TROUETTE, Chef de la Section des affaires politiques, relatif à la mission qu’il a reçu de rechercher les terroristes qui dans la région d’Etain, sont les auteurs des récents attentats et sabotages commis sur les voies ferrées, et qui, le 7 Mars courant ont désarmé 2 gendarmes de la Brigade de Billy-sous-Mangiennes, et s’emparèrent de leurs armes, de leurs bicyclettes et d’une partie de leur équipement.
Hier, au cours de notre transport sur les lieux, M. le Commissaire Trouette, vous a rendu compte des recherches qu’il a entreprises, de leur développement et des résultats obtenus. Il s’agit d’un groupe évalué à 13 individus, [de] la plus grande partie de nationalité russe, ont dû s’évader de leur lieu de travail. Les constatations faites montrent qu’ils sont sous les ordres d’un chef aguerri. Les baraquements construits en forêt, très bien dissimulés, démontrent une technique avertie dans la disposition et l’aménagement.
A la suite de l’engagement qui s’est produit entre le groupe de terroristes et les fonctionnaires de Police, l’un des individus a certainement été blessé, mais sa trace n’a pu être suivie.
Mon collaborateur vient de m’informer que les battues organisées aujourd’hui n’ont pas apporté d’éléments nouveaux, en collaboration avec les forces de Gendarmerie et de G.M.R.1, qui comprend environ 55 Hommes, il poursuit ses investigations.
LE COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE,
MINISTÈRE de L’INTÉRIEUR
POLICE NATIONALE
Service Régional de Police de Sûreté
NANCY
No 4506
Billy 10 Mars [194]4
Le Commissaire de Police de Sûreté TROUETTE Siméon à Monsieur le COMMISSAIRE PRINCIPAL, Chef de la XVo Brigade Régionale de Police de Sûreté à NANCY.
OBJECT : Recherches de terroristes russes dans la région d’Etain.
RAPPEL DES FAITS
Le 7 Mars à 17 heures, deux gendarmes de la Brigade de Billy, au cours d’un contrôle dans un café de Loison, étaient pris à partie par trois terroristes qui les désarmèrent et s’emparèrent de leur équipement et de leur bicyclette.
Le 8 Mars, je me transportais à Billy, accompagné de 5 Inspecteurs du service, afin de procéder à l’enquête.
L’ENQUETE
Après avoir entendu les principaux témoins, nous avons pu conclure que les trois agresseurs étaient d’origine russe, probablement des prisonniers évadés des camps voisins, et que nous étions une fois de plus en présence de la bande, qui depuis quelques semaines s’est livrée à de nombreux actes de pillage et de terrorisme dans la région. Tous ces faits ont fait l’objet d’enquêtes séparées dont les rapports ont été transmis en temps utile. D’après les archives des chefs terroristes arrêtés dernièrement par notre service dans la région de Nancy, nous avons conclu qu’il s’agissait de la compagnie « Stalingrad » qui vit dans les bois, et est en liaison avec des chefs domiciliés dans la région du bassin de Briey.
Faute de pistes précises, nous avons effectué des recherches dans les bois avoisinants.
Au cours de ces recherches nous découvrions, le 8 Mars, en suivant des traces de roues de bicyclette dans la neige, un abri situé en plein bois au lieu-dit « Bois le Baron » à environ 4 kms au sud de Billy.
A proximité de cet abri nous retrouvions une des bicyclettes volées au gendarme. La deuxième bicyclette devait être retrouvée le 9 Mars, dissimulée à environ 300 mètres de ce même abri.
Le repaire des bandits est soigneusement construit en rondins, tôle et terre, et parfaitement dissimulé. Il comprend notamment un bas-flanc permettant de coucher une dizaine de personnes ; nous y avons retrouvé tout le matériel nécessaire à la vie de campement, et en outre, des papiers et documents rédigés en russe et dont nous n’avons pas encore pu faire la traduction. Le 8 Mars au matin, d’après l’état des lieux, nous avions l’impression que cet abri était au moins provisoirement abandonné, et qu’à la suite de l’agression contre les gendarmes les bandits avaient jugé bon de quitter la région.
Nous avons poursuivi nos recherches dans les bois, en collaboration avec la Gendarmerie, pendant toute la journée du 8 Mars sans toutefois découvrir quoi que ce soit d’intéressant.
Le 8 Mars à 21 heures, alors que nous étions en train de prendre notre repas à Billy, un gendarme de cette Brigade vint nous avertir que la ferme de Pierreville, située sur le territoire de Gincrey, venant de téléphoner à la Brigade de Gendarmerie d’Etain pour prévenir qu’elle était, dans le moment même, assaillie par une dizaine de terroristes. Nous sommes partis immédiatement pour nous rendre sur les lieux, et en cours de route, notre attention a été attirée par un fort éclairage extérieur à la ferme du Bois d’Arc ; au lieu de poursuivre notre route, nous avons pénétré dans l’enceinte de cette ferme et avons trouvé réunis les habitants en face la porte d’entrée. Ils nous ont fait savoir que trois individus venaient de se présenter pour les sommer de leur remettre des victuailles et qu’ils s’étaient enfuis en voyant arriver notre voiture.
Nous avons donc immédiatement couru à lieur poursuite dans la direction indiquée par le fermier ; après deux cents mètres de course nous nous sommes aperçus que les trois individus en question étaient attendus par une dizaine d’autres, et tout le groupe s’enfuit dans la direction du bois voisin, avec, sur nous, une avance de deux cents mètres environ. Tout en courant, nous leur avons fait les sommations réglementaires à plusieurs reprises ; c’est alors que deux ou trois des bandits se couchèrent et ouvrirent le feu sur nous avec des armes non automatiques. Nous avons entendu le sifflement de plusieurs balles et avons riposté aussitôt avec les deux mitraillettes dont nous disposions. Les bandits comprenant que nous étions armés, reprirent leur course ; ayant sur nous l’avantage de la connaissance du terrain, nous n’avons pas réussi à nous approcher davantage d’eux avant qu’ils pénètrent dans le bois qui se trouve à environ 1.800 mètres de la ferme. Il y a lieu de noter que les bandits ont tiré à nouveau sur nous, à plusieurs reprises, avant de gagner le bois ; au cours de leur fuite, nous les avons entendus donner des ordres et crier dans une langue étrangère.
Il nous a semblé entendre des cris de douleur qui nous ont laissé présumer qu’au moins un d’entre eux devait être blessé.
Dès que les bandits eurent gagné le bois, il nous fut impossible de continuer la poursuite, qui eut été d’autant plus infructueuse que nous n’étions que cinq et qu’il ne nous restait presque plus de cartouches.
Nous nous sommes mis immédiatement en liaison avec le Commandant qui dirigeait les opérations de Gendarmerie, et qui nous fit savoir que les barrages prévus venaient d’être mis en place aux points utiles.
En parcourant le chemin pour revenir à la ferme, nous avons retrouvé sur le terrain parcouru par les bandits dans leur fuite, quatre sacs et musettes contenant des affaires personnelles et des objets de campement, et une chaussure qui était restée enlisée dans une ornière.
Nous sommes allés immédiatement à la ferme de Pierreville où nous avons appris qu’une dizaine de bandits s’y étaient présentés un peu avant 21 heures et avaient sommé les habitants de leur remettre « par ordre de réquisition » : 5 kgs de beurre, 5 kgs de lard, 5 kgs de pain, etc… Ces sommations avaient été faites de la cour, car les habitants n’avaient pas ouvert leur porte, et en avaient même profité pour téléphoner à la Brigade d’Etain. Devant l’attitude ferme des cultivateurs, qui ne leur ont remis qu’un kg de pain et un peu de beurre, les bandits n’ont pas insisté et sont allés à la ferme du Bois d’Arc où nous les avons rencontrés.
Le 9 Mars au matin, dès le lever du jour, nous nous rendions à la corne du bois où nous avions quitté les bandits, et en collaboration avec la gendarmerie, nous avons tenté de suivre les traces, et celles-ci, après deux ou trois kms, n’étaient plus assez nettes pour nous permettre de continuer nos recherches fructueusement.
Faute d’autres traces, et les barrages de gendarmerie étant restés sans résultat, nous nous sommes rendus, vers 10 heures du matin, au repaire que nous avions découvert la veille. D’après l’état des lieux, le poêle était encore chaud, de nouveaux objets ayant été apportés depuis la veille, et les repères placés par nous la veille étant déplacés, nous avons conclu que quelqu’un avait couché dans l’abri. Il s’agissait certainement de la bande poursuivie par nous la veille, ou tout au moins de Russes, car parmi les nouveaux objets découverts se trouvaient des papiers rédigés en langue russe. A noter qu’à proximité immédiate de l’abri nous avons découvert le produit d’une déjection humaine qui, au contraire des autres, n’était pas gelée, ce qui permet de conclure qu’elle n’était là que depuis le matin même ; il y a lieu de préciser que cette matière fécale était essentiellement composée de grains d’avoine et de blé, ce qui fait supposer que nos bandits étaient particulièrement privés de nourriture. Nous n’avons pas pu retrouver de traces ou de renseignements permettant de savoir dans quelle direction les individus étaient partis.
Dans l’après-midi d’hier 9 Mars, les indications d’un habitant de la région nous ont permis de découvrir deux nouveaux abris construits de la même façon que le premier, et situés dans les bois, à 2 kms Sud-Sud-Ouest de Loison, au lieu-dit « La Petite Woëvre ». Ces deux abris, parfaitement dissimulés, sont distants d’une dizaine de mètres l’un de l’autre, et peuvent contenir en tout une dizaine d’hommes. Ces abris semblent toutefois n’avoir pas été utilisés depuis un certain temps ; dans l’un d’eux nous avons retrouvé un numéro de « l’Echo de Nancy » en date du 24 Février.
Pensant que les terroristes reviendraient coucher dans leur repaire pendant la nuit suivante, nous avions décidé de les surprendre pendant leur sommeil, et ce matin à 1 h. nous avons organisé une expédition en collaboration avec la gendarmerie. Notre opération a été infructueuse, et notre surveillance, qui a duré jusqu’à 2 heures ½ du matin, ne nous a pas permis de retrouver la trace des bandits, ni dans leur repaire, ni dans les bois environnants.
Ce matin 10 Mars, dans la matinée, une nouvelle visite minutieuse effectuée dans le repaire a permis de retrouver notamment une paire de chaussures maculée de sang, que nous n’avons pas remarqué hier, et qui nous permet de confirmer nos premières suppositions, à savoir que, au cours de l’échange de coups de feu qui a eu lieu avant-hier soir, entre les bandits et nous, un au moins des terroristes a été blessé par nos armes.
Hier soir, vers 17 heures, un individu de nationalité russe s’est présenté à la ferme de Pierreville afin de demander de l’embauche ; il a été appréhendé par la gendarmerie en surveillance dans la région, et gardé à vue à la Brigade de Billy. Faute d’interprète nous n’avons pu obtenir de cet individu aucun renseignement intéressant, et ne savons pas encore aujourd’hui s’il s’agit d’un des membres du « Groupe Stalingrad ».
Par ailleurs nous apprenons, au cours de la rédaction de ce rapport, que deux russes rôdaient hier dans les environs de Azanne, à quelques kms de Billy, et qu’ils se renseignaient pour trouver de la nourriture. Prévenus sans doute de la présence de la gendarmerie, ils n’ont pas encore pu être appréhendés.
Une cinquante de gendarmes et une vingtaine d’hommes appartenant au groupe mobile de réserve de Nancy sont sur les lieux et participent aux opérations. Des battues sont organisées dans les bois.
L’enquête continue.
Le Commissaire de Police de Sûreté,
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1 Groupes mobile de réserve.