12 octobre 1940
Eisler, Gerhart
Quartier B Baraque 19
Camp du Vernet, le 12 octobre 1940
Monsieur le Préfet,
le soussigné se permet de vous faire part du fait que depuis hier il se trouve en possession non seulement du visa d’entrée au Mexique, mais ainsi d’un titre de voyage mexicain que le Consul Général du Mexique à Marseille lui a transmis.
Ce titre de voyage et ce visa ont été délivrés sur l’intervention directe, prononcée dans le câble Nr. 61679 du 9 août 1940, du Secrétariat des Relations Extérieures du Mexique.
Je suis certain de ce qu’aucune difficulté ne puisse s’opposer au détenteur de ce papier, qui l’empêcherait de recevoir le visa de sortie français et de quitter la France.
Je demande donc de pouvoir me rendre le plus tôt possible à Marseille et de pouvoir y séjourner pour régler les questions techniques touchant au départ et au transit. C’est le Consul Général lui-même qui m’a redemandé ce déplacement, et d’insister auprès des autorités françaises à ce qu’il me soit accordé ; il faut, d’après lui, ne pas manquer le départ peut-être prochain d’un bateau soit de Marseille, soit de Casablanca ou d’ailleurs. Les questions techniques concernant le voyage qui, cela va sans dire, ne peuvent être réglés d’ici, doivent être réglées avant ce départ et ne peuvent être réglées qu’à Marseille — où déjà sont assemblés les détenteurs de visas mexicains ; ma présence à Marseille est donc indispensable.
Je souligne que j’ai la possibilité matérielle de subsister à Marseille ayant des moyens personnels suffisants.
L’article 19 §2 de la Convention d’Armistice ne peut pas jouer dans mon cas : étant non-aryen, je ne veux pas rentrer en Allemagne et je ne le peux pas, comme l’affirmé expressément la commission allemande qui a visité le Camp. D’autres internés d’origine allemande qui ne peuvent se réclamer d’une raison spéciale, ont pu se rendre à Marseille avec l’autorisation de M. le Préfet de l’Ariège.
Je vous prie, Monsieur le Préfet, de bien vouloir me donner le plus vite possible une réponse positive pour que je puisse annoncer mon arrivée au consul qui la réclame et l’attend. Cette certitude de recevoir une réponse positive se base en plus sur interview accordée, le 18 août, par le Président des Etats-Unis du Mexique, M. le Général Cardenas, qui a déclaré qu’il serait très content d’accueillir « un groupe représentant les traditions de la culture et qui a combattu pour la justice et la liberté » ; il s’agit d’un groupe de ceux qui ont reçu en même temps que moi le visa mexicain, groupe dont je fais partie et qui a été invité sur l’initiative du Président lui-même. Ma certitude se brave d’autre part sur les déclarations réitérées de l’actuel ambassadeur de France à Washington et de son prédécesseur affirmant que le visa de sortie français serait accordé à tout étranger titulaire d’un visa américain quelconque.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l’assurance de ma très haute considération.
Gerhart Eisler
— Départ du Camp impossible jusqu’à [nouv]el ordre.
— Question en cours de règlement.