30 mars 1944

Mine de Piennes Русский

Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. — WM 315.

MINISTÈRE de L’INTÉRIEUR

Direction Générale de la Police Nationale

INTENDANCE DE POLICE de la RÉGION DE NANCY

Service Régional de la Police de Sûreté

No 5314

INTENDANCE RÉGIONALE DE POLICE — NANCY

Arrivée le 1 AVR 1944

No 6316

Nancy, le 31 Mars 1944.

LE COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE Chef du Service Régional de Police de Sûreté à l’honneur de transmettre le rapport ci-joint à Monsieur Le Préfet Régional Intendance Régionale de Police à NANCY

Le Commissaire Divisionnaire,

MINISTÈRE de L’INTÉRIEUR

POLICE NATIONALE

Brigade Régionale de Police de Sûreté

NANCY

15

№ 5314

3 AVR 1944

VU & TRANSMIS à Monsieur le Commissaire Divisionnaire

Chef du Service Régional de la Police de Sûreté

Le Commissaire Principal,

NANCY 30 MARS [19]44,

L’Inspecteur de Police de Sûreté JACQUES Louis à Monsieur le COMMISSAIRE PRINCIPAL, Chef de la 15e Brigade régionale de Police de Sûreté à NANCY.

REFERENCE : Message téléphonique de la gendarmerie de Piennes, en date du 22 Mars 1944, Commission rogatoire en date du 22 Mars de M. le Juge d’Instruction de Briey.

OBJET : Agression de mineurs à main armée et sabotage à la mine Nord Est de Piennes (M.&.M).

J'ai l’honneur de vous rendre compte du résultat de l’enquêté que j’ai effectuée, sous la direction de M. le Commissaire TROUETTE et de concert avec M.M. PICHENET, MASSARD et KIEFFER Inspecteurs du service.

LES FAITS

Le 22 Mars 1944 à 1 heure 25, cinq individus armés de pistolets attaquaient le poste de pointage de la mine Nord-Est de Piennes (M.&.M) et ligotaient deux employés. Dix minutes plus tard les huit mineurs employés à la recette du minerai du puits no 2, étaient attaqués à leur tour, cinq d’entre eux furent ligotés, trois wagonnets furent jetés dans l’orifice du puits no 2, et deux autres dans le puits no 1. A la même heure, le machiniste qui dirige les appareils dans la salle des machines était contraint par deux individus armés de mettre ses machines en marche et de faire descendre les cages jusqu’au milieu du puits. Quelques instants plus tard, un garde de la mine s’étant approché du puits no 1 était attaqué par des terroristes qui le fouillaient et lui enlevaient sa montre et sa lampe.

A la suite de cet attentat, les mineurs qui se trouvaient dans le fond ne purent être remontés que par la mine de Landres située à trois kilomètres et grâce à une galerie qui la relie à celle du Nord Est.

Le travail a dû être suspendu pour une durée approximative de 36 heures. Il entrainera un manque d’extraction de minerai de 3.500 tonnes.

L’ENQUETE

Il résulte de nos investigations que le 21 Mars 1944, à 1 heure 25, cinq individus, dont trois ayant le visage masqué, faisaient irruption dans le poste de pointage de la mine Nord Est à Piennes (M.&.M). Les deux qui avaient le visage découvert tenaient chacun un pistolet dans la main droite tandis que de la main gauche ils faisaient signe au garde HENRY de se taire. Les trois individus qui étaient masqués (un avec une ceinture de flanelle rouge et les deux autres avec de l’étoffe noire) tournèrent le commutateur pour donner toute la lumière, arrachèrent les fils téléphoniques et démontèrent le fusible de la sirène d’alarme, tandis que les deux autres renversaient le garde HENRY sur son lit, et lui ligotaient les pieds et les mains avec des bandes de toile qu’ils avaient apportées avec eux. Cette opération ne leur prit pas plus d’une minute (P.V. no 611/3).

Peu après M. MARTIN, chauffeur des douches de la mine s’avançait dans l’obscurité vers le poste de pointage, lorsque tout à coup il fut saisi par deux mains robustes qui le renversaient, le soulevaient et l’emportaient dans la salle de pointage où il fut attaché aux pieds avec une sangle et les mains derrière le dos avec sa propre ceinture. Cette agression avait été faite par un individu dont le visage était masqué par un foulard gris vert (P.V. no 611/4).

M.M. MARTIN et HENRY demeurèrent couchés l’un sur le lit, l’autre à terre au poste, sous la surveillance des deux individus non masqués dont l’un était armé d’un pistolet parabellum et l’autre d’un revolver « Colt ». Les trois individus masqués quittèrent le poste et se dirigèrent vers le puits.

Vers 1 heure 40, le chef de chantier CAPELLI qui se trouvait avec ses sept ouvriers au réfectoire situé au premier étage de la recette du minerai du puits no 2, où ils prenaient une collation pendant la pause de 1 heure 30 à 2 heures, entendit quelqu’un monter l’escalier métallique qui y conduit. Surpris, il sortit [su]r la porte du réfectoire et aperçu quatre individus dont un avait le visage masqué d’un morceau d’étoffe rouge. Il remarqua que deux de ces individus étaient armés de pistolet et un troisième d’une grenade à main de forme cylindrique et de couleur blanche. Celui qui paraissait être le chef de la bande, un jeune homme âgé d’une vingtaine d’années d’une taille de 1 m.55 à 1 m.60 et qui était vêtu d’une vareuse de cuir brun (vraisemblablement celle volée à un des gendarmes de Billy-les-Mangiennes, le mardi 7 Mars 1944), somma les personnes qui se trouvaient dans le réfectoire de lever les mains. Puis à deux, ils commencèrent à ligoter les ouvriers en leur attachant les mains derrière le dos. Pendant cette opération l’individu qui était masqué était resté sur le palier et les ouvriers entendaient que des wagonnets étaient lancés dans les orifices des puits no 2 et no 1 depuis la recette du p[re]mier étage, celle du deuxième étage et celle du sous-sol. Lorsque cette opération fut terminée, les terroristes appelèrent leurs camarades qui étaient dans la salie du réfectoire. Ceux-ci ne terminèrent pas de ligoter les ouvriers et quittèrent les lieux.

Pendant que les terroristes descendaient les escaliers, les ouvriers remarquaient que les machines se mettaient en route et que les cages commençaient à se déplacer tout doucement puis elles s’arrêtèrent.

Cette manœuvre avait été provoquée également par les terroristes.

En effet, à 1 heure 40 (c’est-à-dire, à la même heure que l’attaque des ouvriers du puits no 2, deux terroristes armés de pistolets de 6 m/m 35, se présentaient à la salle des machines située à une cinquantaine de mètres des puits et sous la menace de leurs armes sommaient le mécanicien HOUPERT de mettre ses machines en route et de déplacer les cages jusqu’au milieu du puits. Il dut exécuter leurs ordres. Au moment où les cages se mettaient en route, un individu ayant le visage dissimulé derrière un morceau d’étoffe rouge vint les appeler. En partant, ils emportaient les clefs de la salle des machines, la lampe de M. HOUPPERT et sa ceinture qu’ils lui avaient fait retirer pour le ligoter (P.V. 611/5).

Vers 1 heure 50, alors que les terroristes descendaient l’escalier de la recette du minerai du puits no 2, ils rencontrèrent le garde de la mine VALEZYNSKI Stanislas, qui ayant entendu le bruit des wagons projetés dans les puits venait voir ce qui se passait. Il aperçut cinq individus qui descendaient précipitamment de la recette du premier étage. L’un d’eux armé d’une petite mitraillette, la braqua en sa direction et lui dit : « Ne bouge pas ». Il lui demanda ensuite s’il était fasciste, s’il était armé d’un fusil et s’il avait des cartouches. (P.V. 611/14). Sur sa réponse négative, deux terroristes lui replièrent, les bras derrière le dos, tandis qu’un troisième lui liait les poignets avec le foulard qu’il lui avait retiré.

Vers 1 heure 50, un des terroristes vint chercher les deux individus qui surveillaient le garde HENRY et le chauffeur MARTIN au poste de pointage et leur disant en mauvais français, avec accent étranger : « Ca y est les gars, c’est fini ». Les deux terroristes sont alors sortis. L’un d’eux, avant son départ, fouilla et emporta une lampe électrique de poche. Après son départ on constata la disparition d’un fusil de chasse et de deux cartouches (P.V. 611/3).

Avant de quitter le poste de pointage, un des deux terroristes colla contre un tiroir du bureau, un papillon tricolore où était les mots « France d’abord » puis il se retourna, le montra à ses victimes, salua militairement et dit en mauvais français avec accent russe ou polonais : « Partisan » puis il disparut.

Il résulte de nos investigations que les terroristes qui ont commis les méfaits relatés dans la présente enquête étaient au nombre d’une douzaine. Trois des individus, après avoir participé à l’agression des sieurs HENRY et MARTIN au poste de pointage, se sont rendus ensuite aux puits. Cinq individus furent aperçus au puits no2. Il est possible que ce sont les trois individus qui étaient masqués au poste qui ont, d’une part, fait les sabotages au puits no1 et que l’un d’eux faisait l’agent de liaison (celui au masque rouge). Il y en avait en outre deux à la salle des machines, qui ordonnaient le sabotage à HOUPPERT.

Il y a tout lieu de supposer que les quatre indi[v]i[d]us masqués étaient de la région peut-être même des ouvriers de la mine. Ils ont certai[ne]ment dissimulé leur visage pour éviter d’être reconnus. C’est certainement eux qui dirigeaient les opérations à effectuer à la mine, c'est-à-dire, tout d’abord l’attaque au poste de pointage pour s’assurer de la personne des gardes de la mine, puis ensuite attaque des puits et de la salle des machines. Ils ne devaient pas ignorer qu’entre une heure trente et deux heures le travail est arrêté pour permettre aux ouvriers de se restaurer et que ces derniers sont à ce moment dans les réfectoires, donc plus facile à maitriser. D’autre part, en jetant des wagonnets dans le puits pendant l’arrêt du travail, ils évitaient des accidents graves à leurs camarades employés à la recette du fond des puits.

Par ailleurs, il est assez difficile à des profanes de se déplacer dans la mine et de lancer des wagonnets dans l’orifice des puits sans connaître les diverses opérations à effectuer pour annihiler le dispositif de sécurité (levage des barrières de protection et décl[e]nchement des taquets d’arrêt placés sur les rails).

Les individus non masqués sont certainement des membres du détachement « Stalingrad » du Mouvement Ouvrier International, à direction communiste, avec lequel notre service a échangé des coups de feu à Loison (Meuse), le 8 Mars 1944 à 21 heures, et qui est actuellement recherché dans les forêts situées à une douzaine de kilomètres de Piennes ainsi que dans celles du département de la Meuse.

En effet, le 7 Mars 1944, deux gendarmes de la brigade de Billy les Mangiennes, étaient dépouillés de leur vareuse de cuir brun ainsi que de leurs armes. L’individu qui s’accaparait ces effets était un jeune étranger, âgé d’une vingtaine d’années, d’une taille très petite. Il causait quelque peu le français. Or le mineur DE LUIGUI Aldon, de Piennes, déclare (P.V. 611/7) que 1’individu qui semblait diriger l’attaque contre le personnel au réfectoire était également un jeune homme, de taille très petite, et qu’il était revêtu d’une vareuse en cuir brun. Les témoins affirment qu’il était armé d’un pistolet de 6 m/m 35, c’est-à-dire une arme identique à celle lors de l'agression des gendarmes. Par ailleurs ses complices parlaient le russe. Les polonais agressés sont affirmatifs à ce sujet. J’ajoute que le nommé WAWRZYNIAK a remarqué qu’un des terroristes était armé d’un fusil de guerre. Or, le 7 Mars, des fonctionnaires de notre service découvraient dans une forêt de Loison le refuge de prisonniers russes évadés des Frontstalag du bassin de Briey qui font partie du détachement « Stalingrad » & les archives de cette unité subversive. Dans ces archives il était mentionné que le nommé MAJAR Ilia FEDOROVITCH était armé d’un fusil. Il était également mentionné que certains de ces terroristes avaient des grenades à main. Plusieurs des ouvriers qui se trouvaient au réfectoire de la mine de Piennes ont remarqué qu’un des agresseurs avait une grenade à main de forme cylindrique et de couleur blanche.

CONCLUSION.

Ce sont les membres du détachement « Stalingrad » du Mouvement Ouvrier International qui ont commis les attaques et sabotages de la mine du Nord Est à Piennes. Ils avaient pour complices au moins quatre individus de la région de cette localité qui connaissaient la mine.

Des recherches sont en cours en vue de les identifier. Aucun des individus n’a pu être reconnu par les témoins.

Signalement des agresseurs :

1o — Ceux qui ont opéré au poste de pointage :

— Taille 1 m.75 - 1 m.80, forte corpulence, — cheveux blonds ondulés, âgé de 30 à 35 ans, —visage rond ridé, — à la physionomie d’un russe ou d’un polonais, — ne parle pas le français.

Etait amé d’un révolver « COLT ».

— Taille 1 m.65 environ, — âgé de 25 à 28 ans, — corpulence moyenne, — cheveux noirs, — visage allongé, — coiffé d’un béret basque et vêtu d’un raglan noir, — a l’aspect d’un Italien, — est armé d’un révolver parabellum.

Les trois individus masqu[ée]s paraissaient être âges de 25 à 30 ans. Ils étaient vêtus de complets sombres, sauf un qui avait une veste grise. Un autre semblait avoir un nez très volumineux.

2o — Ceux qui ont été vus au puits no 1 :

Le chef : taille 1 m.55 à 1 m.60 environ, cheveux châtains, — visage maigre, légèrement allongé, — coiffé d’un béret basque, — vareuse en cuir brun, — âgé d’une vingtaine d’années, — parle le français avec accent polonais, — est armé d’un pistolet de 6 m/m 35.

Taille moyenne, — âgé de 20 à 25 ans, — parle français avec accent étranger, — armé d’un pistolet 6 m/m 35.

Taille moyenne, âgé de 25 ans environ, — armé d’une grenade à main.

3o — Ceux qui ont attaqué M. HOUPPERT à la salle des machines[.]

— Taille 1 m.65 environ, — âgé d’une trentaine d’années environ, — cheveux châtains, — petite moustache, — vêtu d’un pardessus de couleur foncé et coiffé d’un béret basque, — parle le français avec accent étranger est armé d’un pistolet 6 m/m 35.

— Taille 1 m.65, — âgé d’une trentaine d’années, — trapu, — béret basque, — veston très usagé de couleur foncé.

Le signalement des autres individus n’a pu nous être fourni.

L’Inspecteur de Police de Sûreté,

DESTINATAIRES :

M. le Juge d’Instruction de Briey

M. le Préfet régional (Intendance de Police) à NANCY

M. le Préfet de la Meuse à BAR-le-DUC

M. le Directeur des Services de Police de Sûreté (6e Section) à VICHY.

M. le Commissaire divisionnaire, Chef de la Délégation de la Direction des Services de Police de Sûreté à PARIS.

Archives régionales.